Les instituts de sondage avaient pourtant, depuis quelques mois, fait la preuve de leur inefficacité (Brexit, élection de Trump etc.). On s’attendait donc à une surprise, et nombreux étaient ceux qui, à 19h59, frétillaient dans leur divan dans l’attente d’un peu d’inédit. Et après que les ultimes secondes se furent égrainées, et quand les visages d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen s’affichèrent sur un fond d’Elysée photoshopé, ce fut une petite déception.

Autant la performance du Front National était annoncée de longue date, autant la réussite du candidat d’En Marche ! ne laissait pas d’étonner. Le coup avait réussi ! Coup médiatique, coup politique, coup financier. Main basse sur la démocratie. Et ceux qui, comme votre serviteur, pensaient que la ficelle était quand même un peu grosse, en furent pour leurs frais et allèrent se coucher tôt après un dernier verre un peu amer.

De quoi Macron est-il le nom ? Les férus d’histoire relèveront qu’un Naevius Macro, francisé en Macron, était un haut fonctionnaire du début de l’empire romain, et qu’il conspira pour l’assassinat de Tibère, avant d’être lui-même poussé au suicide par Caligula (y verra-t-on un signe ?). Mais les férus d’histoire ne font pas tourner le monde. Pas plus que les spécialistes en gastéropodes, puisque le macron (sans majuscule) est un genre d’escargot, ou les sanskritistes qui connaissent le macron comme un signe diacritique.

Emmanuel Macron (avez-vous d’ailleurs remarqué que les initiales de son mouvement étaient miraculeusement, à l’exception de l’hystérique point d’exclamation final, les siennes propres ?), l’homme du renouveau, le deus ex machina hors système ? Il y avait un côté presque messianique chez ses militants, qui compensaient la vacuité du discours par de belles phrases creuses et des slogans idiots tout droit sortis d’une usine de com’.

En réalité, Emmanuel Macron est la quintessence du système ; il en est l’extraction absolue, le distillat le plus pur. De par ses études (sciences-po Paris, ENA), sa carrière (inspection des finances, banque Rothschild), ses soutiens (hauts fonctionnaires, médias, grand patronat), il incarne à lui-seul l’oligarchie qui détient le pouvoir depuis trop longtemps, en France, en Europe, dans le “camp occidental”.

Il y avait de l’escroquerie à faire passer ce valet de pied du pouvoir politico-médiatico-financier pour un homme nouveau. Une ruse presque diabolique. Et ça a fonctionné. Malgré l’absence de programme. Malgré les approximations, les discours contradictoires, les reniements, les aberrations (sur la culture française, la colonisation et j’en passe). Malgré, même, le ralliement final de nombre de membres influents de la majorité sortante (qui, au passage, ajoutaient au mensonge la trahison à l’égard de leur propre camp). Tous les signes le désignaient comme l’héritier d’une dynastie tant honnie, l’ultime bâtard légitimé par un roi mourant, mais l’électorat l’a suivi, comme les rats ont couru derrière le joueur de flûte de Hamelin. On sait ce qu’il advint d’eux.

S’ouvre désormais la période de l’entre-deux-tours, ces deux semaines magnifiques où les ennemis d’hier finissent miraculeusement par s’entendre, où celui que l’on conchiait la veille s’avère finalement un modèle de vertu, où les petites phrases assassines d’hier laissent la place aux déclarations enamourées. Moralement, pour quiconque a un peu d’honneur, tout cela pue. Ce cloaque où l’attirance pour la gamelle supplante les idées que, la veille, on prétendait défendre corps et âme, dégage une atroce odeur pestilentielle qui soulève l’estomac.

Le seul avantage que l’on puisse trouver à cette situation, c’est que le second tour opposera deux candidats radicalement différents et deux visions du monde totalement opposées. Le système en place contre l’anti-système (certes relatif). L’héritier du royaume contre l’héritière de l’éternel opposant. Mondialisme et européisme contre nation et patrie. Désintégration assumée de ce qui subsiste de la France, contre tentative de sauvegarde et de renaissance.

Et, une nouvelle fois, la triste pensée que, si ça ne passe pas cette fois-ci, ça passera peut-être dans cinq ans. S’il n’est pas trop tard.

Tribune Libre de Damien Lamarre pour Infos-Bordeaux